Au moins 22 personnes, selon l’ONU, ont été tuées dans l’île depuis le début, la semaine dernière, du mouvement social qui a provoqué lundi la chute du gouvernement.
Des milliers de personnes dans les rues de la capitale de Madagascar, Antananarivo, et des autres villes principales du pays. La Grande Ile a connu lundi 29 septembre une nouvelle journée de mobilisation massive, à l’initiative du collectif de jeunes Gen Z Madagascar, né sur les réseaux sociaux en dehors de toute structure politique ou syndicale traditionnelle. La police a tiré des gaz lacrymogènes contre les manifestants et un député d’un petit parti a été arrêté à son tour. Un nouveau signal de la logique répressive adoptée par les autorités depuis le début, jeudi 25 septembre, du mouvement déclenché par l’exaspération des habitants face aux coupures à répétition d’eau et d’électricité. Au moins 22 personnes auraient été tuées depuis la semaine dernière, selon l’ONU, dont le Haut-Commissaire aux droits de l’homme s’est dit «choqué», par la réponse des autorités malgaches.
Quelle est la situation à Madagascar ?
Le 19 septembre, deux élus d’opposition d’Antananarivo ont été arrêtés, accusés d’avoir forcé l’entrée du Sénat. La veille, ils s’étaient présentés devant l’enceinte parlementaire avec des bidons jaunes pour dénoncer les pénuries d’eau dont souffrent les habitants de la capitale. Leur interpellation, cumulée aux heurts qui ont opposé le 24 septembre la police et des étudiants de l’Ecole supérieure polytechnique en colère contre les coupures d’électricité dans leur établissement, a nourri le ressentiment de la population. Résultat : jeudi 25 septembre, les appels à la mobilisation ont été massivement suivis dans tout le pays et les manifestations – interdites par le gouvernement – ont dégénéré. A Antananarivo, la police a repoussé la foule en tirant des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc.
Au moins 22 personnes ont été tuées au total, selon l’ONU. «Parmi les victimes figurent des manifestants et des passants tués par des membres des forces de sécurité, mais aussi d’autres tués lors des violences et des pillages généralisés qui ont suivi, perpétrés par des individus et des gangs sans lien avec les manifestants», a détaillé lundi le communiqué du Haut-Commissariat des Nations unies. Une information démentie dans la foulée par le ministère des Affaires étrangères malgache, selon lequel «aucun chiffre officiel ne corrobore ce bilan».
Jeudi, des protestataires ont incendié le domicile de la sénatrice Lalatiana Rakotondrazafy, une proche du chef de l’Etat, Andry Rajoelina, et de deux députés du parti présidentiel. Des pillages ont émaillé la fin de la semaine et de nombreux commerces ont été détruits, malgré le couvre-feu nocturne instauré par le gouvernement. Le collectif Gen Z Madagascar a immédiatement rejeté «ces comportements [qui] relèvent de groupes extérieurs, dont les intentions et les méthodes s’opposent à l’esprit qui a guidé notre action».
Dans la presse malgache, on s’interroge sur l’origine de ces violences, et sur l’attitude des policiers – dont certains, sur les images diffusées sur les réseaux sociaux, assistent sans intervenir aux saccages. «Pendant toute la journée de jeudi, l’étrange comportement des forces de l’ordre a rendu la population perplexe : féroces contre les manifestants, mais permissives contre les casseurs», relevait samedi le quotidien le Madagascar Tribune, qui s’étonnait que «certains commerces [plus proches du pouvoir] soient systématiquement épargnés par les pillages». «La méthode du pouvoir est connue : opposer des contre-manifestants aux manifestants, jouant ainsi un jeu dangereux qui peut à la longue être une porte vers la guerre civile», alertait le journal.
Que demandent les manifestants ?
Avec près de 75 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté, selon des chiffres de la Banque mondiale datant de 2022, Madagascar est l’un des pays les plus pauvres du monde. Ses habitants vivent au rythme des pénuries répétées d’eau et d’électricité. «Ce mouvement a été mené pour ramener l’eau et l’électricité à Madagascar. Ici, on a à peu près douze heures de délestage [d’électricité] par jour. Ça veut dire que pendant douze heures de la journée, on sort de la maison, on va travailler, on paye les impôts et on retourne à la maison. Toujours pas d’électricité», racontait jeudi une étudiante interrogée par l’AFP à Antananarivo. «Nous ne voulons pas de troubles, nous voulons juste nos droits», avaient écrit sur leur banderole certains des participants.
Face à la brutalité affichée par le régime, les manifestants réclament désormais le départ du président Andry Rajoelina, au pouvoir depuis 2018 après un premier mandat entre 2009 et 2014, et de plusieurs de ses proches. Ils dénoncent aussi «la corruption systémique au sein des institutions» et «la pauvreté extrême qui touche une grande partie de la population», selon un communiqué de Gen Z Madagascar. Le mouvement citoyen a repris les codes des mobilisations qui agitent depuis quelques semaines le Népal, l’Indonésie ou les Philippines : comme dans ces pays asiatiques, ils ont choisi comme emblème le drapeau de pirate du manga japonais One Piece.
Quelle est la réponse du Président ?
Andry Rajoelina a d’abord joué la montre. Aux premiers jours de la crise, alors que sa police tirait aux balles en caoutchouc sur les manifestants rassemblés à Antananarivo, l’ancien maire de la capitale se trouvait à New York pour cause d’Assemblée générale de l’ONU. Vendredi, dans une allocution vidéo, il a offert aux manifestants la tête du ministre de l’Energie, Olivier Jean-Baptiste, limogé car accusé de «ne pas faire son travail». De retour sur l’île de l’océan Indien samedi soir, il a reconnu la responsabilité de certaines «fautes» lors d’un discours prononcé dimanche devant certains de ses partisans. «Qui suis-je pour échapper aux critiques ? Même Jésus n’y a pas échappé», a même tenté le dirigeant franco-malgache, réélu en 2023 au terme d’une élection boycottée par l’opposition.
Ce n’était pas suffisant pour calmer la colère de la rue. Alors lundi soir, à la télévision, Andry Rajoelina a abattu une nouvelle carte : le renvoi du Premier ministre, Christian Ntsay, en poste depuis 2018, et de l’ensemble des membres du gouvernement. «Nous allons construire un gouvernement qui travaillera pour le peuple», a promis le chef de l’Etat. Et de présenter aux manifestants ses excuses «si certains membres du gouvernement n’ont pas pu su écouter et assumer leurs responsabilités». Les ministres sur le départ assureront l’intérim le temps de la formation d’un nouvel exécutif.