Attendue depuis quatre ans, la date de l’élection à la magistrature suprême a été fixée au 28 décembre prochain. Un scrutin majeur, censé permettre le retour à l’ordre constitutionnel, mais qui laissera bien peu de chances à l’opposition de faire entendre sa voix face au général-président qui a renversé Alpha Condé en 2021.
Avait-il besoin de tout ce temps pour dégager la voie et garantir son maintien au pouvoir en Guinée ? Quatre longues années se seront écoulées entre sa prise de pouvoir par les armes, en 2021, et l’annonce de la date finalement retenue pour organiser la présidentielle : ce sera le 28 décembre, a promis Mamadi Doumbouya le 27 septembre dernier.
Jusque-là, ni les appels répétés au respect des engagements pris auprès de la Cedeao ni les manifestations pour une transition brève et inclusive n’avaient suffi à convaincre le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) d’organiser dans les meilleurs délais un retour à l’ordre constitutionnel. Le général Doumbouya a préféré attendre que soit tournée la page du référendum constitutionnel du 21 septembre, dont les résultats définitifs ont consacré la victoire du oui à près de 90 %.
Si peu après son arrivée au pouvoir Mamadi Doumbouya avait assuré qu’il ne briguerait pas la magistrature suprême, il fait aujourd’hui peu de doute qu’il sera candidat. Son entourage et, plus largement, ses soutiens s’emploient depuis des mois à habituer les Guinéens à cette idée, tandis que les voix divergentes, à commencer par celles de l’opposition et de la société civile, ont été progressivement réduites au silence sous divers prétextes. Voici donc comment s’annoncent les prochains mois.
• Pour Doumbouya, la voie royale
La Constitution qui vient d’être adoptée haut la main ouvre la voie à une candidature de Mamadi Doumbouya, alors que la charte de la transition qu’elle remplace le lui interdisait. Malgré le faux suspense qu’entretient sur le sujet l’homme fort de Conakry, sa candidature ne fait pas de doute. Sans parti politique, Mamadi Doumbouya pourrait se présenter en indépendant. Mais face à qui ?
Ses opposants les plus en vue sont pour la plupart menacé d’inéligibilité. C’est le cas de l’ancien président Alpha Condé, qui continue de diriger le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel) depuis la Turquie, et du leader de l’Union des forces républicaines (UFR), Sidya Touré : tous deux ont dépassé la limite d’âge de 80 ans prévue par l’article 45 de la nouvelle loi fondamentale.
Comme Cellou Dalein Diallo, le chef de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Alpha Condé et Sidya Touré sont en outre en exil. Or la Constitution impose, toujours dans son article 45, aux candidats à l’élection présidentielle de résider en Guinée et « d’être présent sur le territoire national, depuis le dépôt de [leur] candidature jusqu’à la proclamation des résultats définitifs, sauf cas de force majeure dûment constaté par la Cour constitutionnelle ».
Du trio, seul Cellou Dalein Diallo évoque régulièrement un prochain retour, mais celui-ci est sans cesse différé.
• Les poursuites judiciaires et la prison comme arme de dissuasion
Si le chef de l’UFDG hésite à rentrer, lui qui réside entre Dakar et Abidjan depuis 2022, c’est notamment parce qu’il fait l’objet de poursuites judiciaires pour son implication présumée dans la liquidation, en 2002 et alors qu’il était ministre des Transports de Lansana Conté, de la compagnie étatique Air Guinée.
Le patron de l’UFDG a eu beau récuser les accusations portées contre lui et dénoncer une instrumentalisation de la justice, le procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) a annoncé, en mars dernier, sa prochaine inculpation pour « corruption, détournement de deniers publics, blanchiment de capitaux, enrichissement illicite ». Autrement dit, un retour au pays pourrait le conduire entre les murs de la Maison centrale de Conakry.
Aliou Bah, qui est à la tête du Mouvement démocratique libéral (Model), compte aujourd’hui parmi les rares opposants à être restés en Guinée et à être ouvertement critiques de la junte, et il est en prison. En janvier 2025, il a été condamné à deux ans de détention pour « offense et diffamation » à l’encontre de Mamadi Doumbouya. Il y côtoie des dignitaires de l’ancien régime, comme l’ex-Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, condamné à cinq ans de prison pour détournement et enrichissement illicite, ou encore Amadou Damaro Camara, ancien baron du RPG et président de l’Assemblée nationale. Lui a écopé de plus de trois ans de détention pour des faits similaires.
- Quelques candidats pour faire de la figuration
Plusieurs personnalités de second plan ont pour l’instant annoncé leur intention de se lancer dans la course. C’est le cas d’Ousmane Kaba, qui est à la tête du Parti des démocrates pour l’espoir (Pades). Officialisant l’ambition de son leader, le Pades en a profité pour saluer « la bonne tenue du scrutin référendaire pour lequel il avait appelé à voter oui » et féliciter Mamadi Doumbouya et son gouvernement pour « la mise en œuvre de grands projets structurants, capables de réaliser le potentiel de croissance économique du pays ». Autant dire qu’il ne devrait pas constituer de réelle menace pour le général-président le 28 décembre.
L’Union pour la défense des intérêts républicains (Udir) a également décidé, à l’issue d’une réunion le 4 octobre, de présenter la candidature de son président, Bouya Konaté. Lors de la présidentielle de 2020, le Pades et l’Udir avaient grappillé respectivement 1,19 % et 0,18 % des suffrages exprimés.
Quant à Faya Millimouno, il laisse encore planer le doute sur la participation du Bloc libéral. Quoique critique envers la junte, son parti avait refusé d’appeler au boycott du référendum constitutionnel, comme la plupart des ténors politiques réunis au sein de la plateforme des Forces vives de Guinée. Millimouno avait néanmoins fait campagne pour le non.
• Les cartes vont-elles être rebattues ?
Se dirige-t-on alors vers un renouvellement de la classe politique en Guinée ? « Mon analyse est qu’il ne faut limiter l’opposition guinéenne aux anciens grands partis, répond un ancien haut commis guinéen. Je crois qu’un certain nombre de formations, qu’elles soient grandes ou petites, mais qui étaient jusqu’à présent en retrait, presque timides, vont profiter de l’occasion pour se faire connaître ». Notre interlocuteur se dit convaincu qu’un « nouveau paysage politique est en gestation en Guinée » et que « de nouvelles plates-formes et alliances pourraient émerger bientôt ».
Analyse que nuance un ancien ministre d’Alpha Condé. « L’absence du RPG et de l’UFDG vont profiter quasi exclusivement au candidat du pouvoir », dit-il, en regrettant que les contours du nouveau code électoral, adopté fin septembre, n’aient pas été dévoilés. « Surtout, ajoute-t-il, toute réflexion doit être adossée à des résultats électoraux. L’histoire des partis se décide toujours après les élections. Mais ce qui est sûr, c’est que la junte choisira ses adversaires et décidera de leur score. N’émergeront que ceux qu’elle voudra bien voir émerger. »
Source : Jeune Afrique


