Le chef de la junte malienne a lancé, le 6 août, une vaste opération d’arrestations au sein de l’armée. Soupçonnés de préparer une déstabilisation du pouvoir en place, une cinquantaine d’officiers, dont au moins deux généraux, ont été mis aux arrêts. Cette affaire révèle des dissensions internes entre les militaires, mais également entre les auteurs du coup d’État de 2020.
Ni coup de feu, ni bruit de bottes. Mais, dans la nuit du 10 au 11 août, des publications sur le réseau social X et des messages partagés dans des conversations WhatsApp au Mali, ont semé le doute à Bamako. « Urgent : la générale de brigade Nema Sagara, de l’état-major de l’armée de l’air, ainsi que 32 autres militaires, ont été arrêtés pour tentative de déstabilisation », pouvait-on lire sur l’un d’eux.
Au fil de la journée, les noms de certains hauts gradés, bien connus des Maliens, apparaissent sur les réseaux sociaux comme faisant partie d’une vague d’arrestations : le général Cheick Fanta Mady Dembélé, le colonel-major Souleymane Dembélé, patron de la Direction de l’information et des relations publiques des armées (DIRPA), qui se trouve pourtant à l’étranger pour soins médicaux…
Les rumeurs vont bon train, tandis que des activistes proches de la junte malienne et certains membres du Conseil national de la transition (CNT) crient à « l’intox ». Trois jours plus tard, le président de la transition, le général Assimi Goïta, continue de garder le silence depuis son quartier général : le camp militaire de Kati. Aucune communication officielle n’a été faite par le pouvoir, ni par le chef d’état-major des armées, le général de division Oumar Diarra, pour mettre fin aux spéculations.
Que se passe-t-il alors dans les rangs des Forces armées maliennes (FAMa) ? Une division interne secoue-t-elle l’équilibre des cinq colonels putschistes ? Ceux-là mêmes qui se sont toujours affichés soudés depuis le putsch du 18 août 2020 ?
« Assimi Goïta et Modibo Koné en sont à l’origine »
Tout a commencé le 6 août au soir. Alors que la générale de brigade Nema Sagara vient de regagner son domicile après une journée de travail, trois pick-up à bord desquels se trouvaient des militaires font irruption à son domicile. Les soldats lui indiquent que « le président et le patron des services de renseignement (SE) souhaitent [lui] parler », confie à Jeune Afrique l’un de ses proches. Elle est embarquée. C’est le point de départ d’une série d’arrestations d’officiers, comme le pays n’en avait pas connu depuis le coup d’État de 2020.
Selon nos informations, ils sont plus d’une cinquantaine à faire l’objet d’interrogatoires par les services de renseignements, dans la base B, non loin de la cité administrative.
Ils se sont plaints auprès d’Assimi Goïta du manque de reconnaissance envers les soldats tombés sur le champ de bataille qui ne reçoivent pas les honneurs nationaux, et dont la mort est passée sous silence. Une source anonyme
Parmi eux figure le général Abass Dembélé, ancien gouverneur de Mopti. Dimanche 10 août, alors que le flou s’installait dans la capitale malienne, des pick-up ont également débarqué chez lui aux alentours de 10 h 45 pour l’arrêter.
« Ils l’ont pris et l’ont emporté sans explication. Puis, dans l’après-midi, on nous a informés qu’il est impliqué dans une affaire de déstabilisation de la transition », raconte une source de la famille à Jeune Afrique.
Pourquoi les soupçonne-t-on de vouloir déstabiliser la transition ? « C’est Assimi Goïta et Modibo Koné qui sont à l’origine de cette purge », croit savoir une source proche des militaires, qui a requis l’anonymat. « Tous ceux qui peuvent dire non à la direction voulue par Goïta et Koné sont visés. Ils ont déjà fait une purge en politique et maintenant, c’est au tour des militaires. Ils veulent faire peur aux éléments récalcitrants au sein de l’armée », conclut notre source.
Une réunion secrète de la discorde
Une réunion qui s’est tenue dans la nuit du 25 au 26 juillet au camp militaire de Kati entre une dizaine de hauts gradés et le chef de la junte a éveillé de la méfiance chez le président et surtout, le patron des renseignements, le général Modibo Koné. Selon nos sources, au cours des discussions, la générale de brigade Nema Sagara ainsi que le général Abass Dembélé, le colonel Famouké Camara, les officiers Adama Diarra, et Drissa Camara auraient contesté certains choix stratégiques pris par la junte.
« Ils se sont plaints auprès d’Assimi Goïta du manque de reconnaissance envers les soldats tombés sur le champ de bataille qui ne reçoivent pas les honneurs nationaux, et dont la mort est passée sous silence, soutient la source précitée. S’ils sont d’accord avec la guerre de communication menée par Bamako, de plus en plus d’officiers estiment que les mensonges autour des pertes réelles de l’armée portent atteinte au moral des troupes, qui ont le sentiment de se sacrifier pour rien. »
Après la réunion, percevant un risque de mutinerie, Modibo Koné aurait suggéré au président d’étouffer dans l’œuf toute velléité contestataire, afin de ne pas laisser place à l’organisation d’un coup d’État. Le président, conscient du risque, aurait déclenché quelques jours plus tard une purge préventive dans les rangs des officiers critiques. Il a concentré ses efforts sur l’entourage des généraux Nema Sagara et Abass Dembélé, réputés proches depuis l’opération de reconquête du Nord malien en 2012.
Nema Sagara, entremetteuse de l’ombre
Entretenant des liens de proximité avec le ministre de la Défense Sadio Camara, Nema Sagara a toujours fait l’objet de beaucoup d’admiration du quarteron de colonels. Elle a, en coulisses, aidé à leur accession au pouvoir le 18 août 2020 en jouant un rôle de marraine.
Selon une source proche, certaines des réunions de préparation entre les futurs tombeurs du président Ibrahim Boubacar Keïta se sont organisées dans les bureaux de la générale. L’une des dernières s’était tenue le 16 août 2020 au Secrétariat permanent de la lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre (SP-CNLP), dont la générale avait la direction entre 2017 et 2021.
C’est peut-être même cette fonction d’entremetteuse de l’ombre qui lui vaut aujourd’hui les suspicions de ses anciens camarades d’intrigue, mais aussi son parcours qui fait d’elle l’un des officiers les plus craints au sein de l’armée de l’air. Seule femme combattante lors de la contre-offensive au nord du Mali en 2012, Nema Sagara qui a été entre autres formée aux soins à l’Hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris et à la lutte anti-terroriste à la National Defence University de Washington, s’est illustrée sur le champ de bataille en Sierra Leone et au Mali.
Cheffe des actions civilo-militaires de Gao, après la reprise de la ville en 2013, elle est chargée de sensibiliser les populations afin d’aider le renseignement à repousser l’influence jihadiste lors de l’insurrection.
Promue secrétaire permanente au SP-CNLP, elle participera à l’effort de réconciliation entre les communautés peules et dogons au centre du Mali. Poste duquel elle est relevée par Assimi Goïta peu après le coup d’État de mai 2021 qui renverse le président de la transition civile, Bah N’Daw, dont elle est proche. Un geste qui envenime alors les relations entre la générale de brigade et le chef de la junte.
Abass Dembélé, tombeur de putschistes
De son côté, voilà déjà plusieurs mois que le général Abass Dembélé, ne fait plus l’unanimité auprès de la hiérarchie militaire. L’ancien gouverneur de la région de Mopti, qui compte à son actif de nombreux faits d’armes, a été débarqué de ses fonctions en mai 2025. Si aucune explication n’a été officiellement donnée par l’état-major, la hiérarchie n’a pas apprécié que le général Dembélé exige publiquement que lumière soit faite sur le massacre de Diarafabé qui a coûté la vie à une vingtaine de villageois peuls en mai.
Sadio Camara a été écarté de certaines nominations stratégiques au sein de l’armée et sur le plan militaire, il n’a plus la main sur la défense depuis que Goïta a signé le deal avec Africa Corps au détriment de Wagner.
Une source proche du dossier à BamakoAu sein de la grande muette, le général Dembélé, est une figure respectée. Il s’est illustré en fondant avec le général Didier Dacko, au début de la guerre du Mali en 2012, le Groupement des commandos volontaires (GCV). Une unité de forces spéciales qui s’est distinguée lors de la reconquête du nord du pays.
Opération durant laquelle il se rapproche de Nema Sagara. En 2013, Abass Dembélé est blessé pendant la bataille de Konna. Accueilli à Bamako avec les honneurs, c’est lui qui, le 27 novembre de la même année, arrête et écroue le putschiste Amadou Haya Sanogo, sur ordre de la justice.
Prévoyait-il de réitérer cet acte contre Assimi Goïta ? Depuis plusieurs mois déjà, une certaine fébrilité parcourt les rangs de l’armée malienne. Promu président de la République par une loi qu’il a lui-même promulguée le 10 juillet, lui conférant un mandat de cinq ans renouvelable « autant de fois que nécessaire » et sans élection, le chef de la junte malienne s’est offert un règne sans partage. De quoi échauder une partie de ses soutiens au sein des forces armées, qui voient dans cette décision une dérive autoritaire éloignant la transition de ses promesses.
Une ligne de fracture Sadio-Assimi ?
Alors que le Mali peine à se dépêtrer d’une crise multidimensionnelle, autant sur le front sécuritaire qu’économique, le pouvoir se referme sur lui-même, à Kati. Une ligne de fracture se dessine entre les colonels, divisant les soutiens du chef de la junte, Assimi Goïta, et ceux du ministre de la Défense, Sadio Camara.
Ces derniers mois, le fossé s’est considérablement creusé entre les deux hommes au point qu’ils ne se consultent presque plus. Alors que certains le surnommaient « le président bis » ou bien « le cerveau de la transition », le pouvoir de Sadio Camara s’est réduit à mesure que la transition avançait.
« Aujourd’hui, il existe plusieurs frustrations. Sadio Camara a été écarté de certaines nominations stratégiques au sein de l’armée et sur le plan militaire, il n’a plus la main sur la défense depuis que Goïta a signé le deal avec Africa Corps au détriment de Wagner » glisse une source proche du dossier à Bamako.
Alors que, fin 2021, Sadio Camara et le chef d’état-major de l’armée de l’air Alou Boi Diarra avaient facilité le déploiement de plus de 1 500 mercenaires russes de Wagner, Goïta s’est octroyé les services d’Africa Corps, qui reprend progressivement la branche sécuritaire de Wagner en Afrique.
Si pour l’heure, il est difficile de dire si ces arrestations sont une façon pour Assimi Goïta d’affaiblir davantage son ministre de la Défense, de nombreux officiers détenus appartiennent à la Garde nationale et à l’armée de l’air, deux corps proches du « clan Sadio ».
À Bamako, les soldats semblent sur leurs gardes. Depuis plusieurs jours, ils patrouillent lourdement armés à bord de pick-up. Dans la matinée du mardi 12 août, la circulation a été fermée sur le pont Fahd, officiellement, pour laisser passer un cortège.
Toutefois, des riverains, interrogés par Jeune Afrique, dénotent une tension accrue dans la capitale malienne. « Le dispositif n’était pas le même que d’habitude. Il y avait beaucoup de militaires », confie l’un d’eux. Alors que le 18 août prochain marquera la cinquième année des colonels putschistes au pouvoir, les Maliens s’interrogent : Assimi Goïta vient-il de franchir une ligne rouge ?
Source : Jeune Afrique