• Home  
  • Thomas Ngijol, acteur et réalisateur : « La France doit être capable de regarder son histoire en face »
- CULTURE

Thomas Ngijol, acteur et réalisateur : « La France doit être capable de regarder son histoire en face »

Weather can alter gameplay in outdoor sports. See how athletes adapt their strategies to perform under changing conditions.

Le dernier film de Thomas Ngijol est autant le portrait d’un homme que celui d’un pays. Rencontre avec un réalisateur qui a le Cameroun chevillé au cœur. Ce pays, il n’a voulu « ni le sublimer ni le dénigrer « , mais le regarder « à hauteur d’homme ». Une honnêteté dont la France, qui peine à solder son passé colonial, doit faire preuve elle aussi, insiste-t-il.

Son film, Indomptables, a été présenté à la Quinzaine des cinéastes lors du dernier festival de Cannes. Tourné à Yaoundé et librement adapté du documentaire Un crime à Abidjan de Mosco Levi Boucault, il sortira en salles le 11 juin. Thomas Ngijol y campe un commissaire rude et taiseux qui ne sait pas dire son affection, mais a fait du maintien de l’ordre un principe quasi moral.

Indomptables est autant le portrait d’un homme que l’histoire d’un pays. Il y est question de transmission, de respect, d’attachement aux valeurs traditionnelles. Né en France de parents camerounais, l’acteur et réalisateur filme, dans une mise en scène sobre et efficace, la réalité d’un pays qu’il affectionne. Son polar ne revendique pas un propos politique, mais entre les embouteillages, les délestages, la corruption et les services publics défaillants, il est bien, en creux, le portrait d’un État dirigé depuis plus de 42 ans par un homme : Paul Biya.

Jeune Afrique : Vous quittez la comédie pour le polar et retrouvez le continent pour le filmer non pas à travers l’œil de la diaspora mais à travers celui des Africains. Pourquoi maintenant ?

Thomas Ngijol : C’est dans l’ordre des choses pour ma génération. On a eu besoin d’enfoncer les portes de façon brutale au début, en traitant de sujets forts et essentiels, pour ensuite entrer dans l’intime. C’est le cas avec ce film, Indomptables. Parler de moi, c’est aussi parler de l’Afrique, du Cameroun. Nous sommes des êtres complexes : je suis français par ma nationalité et mon parcours. Mais mes origines sont au Cameroun, et c’est d’autant plus essentiel que ce sont aussi celles de mes enfants. Si je ne les connecte pas au Cameroun, personne ne le fera pour moi. Faire un film qui s’attache aux émotions d’un homme, c’était pour moi une autre façon d’aborder mon travail et ma relation à l’Afrique.

Vous campez un père de famille qui peine à dialoguer avec ses enfants…

Ce manque de transmission et de communication, ce sont des choses qui nous ont abîmés. On a beaucoup de souffrances en nous et j’ai voulu les mettre en images et en scène, sans forcément apporter de solutions. Même moi qui suis désormais père, je n’ai pas résolu ces questions-là avec mon propre père. Il était temps d’essayer de les solder à l’écran, mais avec humilité.

Confronté aux défaillances du système, à la corruption, aux problèmes logistiques, votre personnage, le commissaire Billong, affirme qu’en Occident, il pourrait mieux mener son enquête. En êtes-vous sûr ?

J’aime profondément le Cameroun, mais j’ai fait un film honnête. Je n’ai pas voulu le sublimer ni le dénigrer, ç’aurait été très culotté de ma part, moi qui vis en France. J’ai essayé de regarder mon pays avec sincérité, sans le charger inutilement. Je me suis mis à hauteur d’homme, en en traduisant les bons et les mauvais côtés. Ce qu’il en ressort, ce n’est ni un pamphlet ni une carte postale.

Maintenant, si on fait la comparaison, il est vrai que certaines choses vont plus vite en France et que d’autres prennent plus de temps au Cameroun parce que la société n’évolue pas au même rythme.

N’est-il pas temps d’arrêter de comparer l’Afrique à l’Europe ?

Les personnes issues de la diaspora feront toujours la comparaison : nous sommes liées aux deux continents, nous faisons la navette, c’est inévitable. Après, si faire la comparaison permet de faire avancer les choses en Afrique, pourquoi pas. En revanche, si c’est pour rabaisser le continent et dire que les Africains ne sont pas au niveau, cela n’a aucun intérêt.

Ce film, dont vous dites qu’il porte sur l’intime, a quand même une résonance politique. Il est d’ailleurs question d’un président omniprésent, dont on aperçoit même le portrait à l’écran. Ce n’est pas anodin…

On voit même ce portrait deux fois : au poste de police et à l’école. Mais le montrer à l’écran n’est pas un geste politique : il est tout simplement présent partout dans l’espace public. Ne pas le montrer aurait été curieux et, d’une certaine manière, bien plus politique. Ç’aurait même été un manque de respect que d’enlever le portrait du président Paul Biya ! Mais c’est là où cela devient intéressant pour un auteur et un réalisateur : on fait des films mais ensuite, ils ne nous appartiennent plus. Les gens en ont leur propre lecture.

Mes parents sont arrivés en France à la fin de la présidence d’Ahmadou Ahidjo [au pouvoir de 1960 à 1982]. On n’a connu que Paul Biya au pouvoir, même si c’était de loin. On parlait beaucoup de politique à la maison, mais aussi de valeurs et de respect. Mon père m’a appris qu’il fallait se respecter soi-même pour pouvoir respecter les autres.

Une commission de chercheurs français et camerounais a publié, fin janvier, un rapport sur le rôle de la France au Cameroun pendant la colonisation et après l’indépendance. Celui-ci revient notamment sur l’assassinat de plusieurs figures indépendantistes. Aviez-vous connaissance de ce passé ?

Bien sûr ! Je suis d’ethnie bassa. Je n’ai pas vécu cette violence dans ma chair, mais mon père et mon grand-père l’ont vécue. Mon père nous a protégés mes frères et moi de cette histoire-là : on porte déjà de la colère en nous, il ne fallait pas nous en transmettre davantage. Mais on a fait nos recherches, on sait ce qui est arrivé, et j’y fais d’ailleurs allusion dès le début de mon film. Il faut avoir conscience que ces choses ont existé.

On ne guérit pas les gens en occultant le passé. On ne va pas refaire l’histoire, mais il y a eu des blessures, et c’est de cela qu’il est question. On ne cherche pas une revanche, mais une réparation. La reconnaissance peut guérir, où du moins apaiser.

D’une manière plus générale, quel regard portez-vous sur les initiatives mémorielles portées par le président français Emmanuel Macron ?

Il n’est jamais trop tard et en même temps, il était temps ! Nous avons besoin que ce passé colonial soit reconnu pour pouvoir avancer sainement. Mais il y a tellement de frustrations et de blessures que les choses vont prendre du temps. Il y a une culpabilité de la France à l’égard de ses anciennes colonies, et cette culpabilité a engendré un malaise. Je ne sais pas quelle est la bonne façon de réparer, mais il faut le faire. Il faut de la transparence, que la France soit capable de regarder son histoire en face et honnêtement. Manquer de clarté ne fait qu’alimenter une colère et une rancœur qui se transmettent de génération en génération.

Lors du festival de Cannes, plusieurs cinéastes se sont dits inquiets de la montée du Rassemblement national (RN) en France et de ses possibles répercussions sur la création. Est-ce qu’il y avait une urgence à faire ce film et qu’il voit le jour avant 2027 ?

Non, je n’ai pas ressenti cette urgence : ce film correspond à ma temporalité. J’ajouterais que depuis que je suis né je me prépare à cette montée de l’extrême droite. J’ai grandi avec des affiches du FN placardées sur les murs. Je suis bien sûr triste de ce contexte politique, catastrophé de voir que le racisme infiltre les institutions. Mais je ne tombe pas des nues : le racisme, j’y ai goûté tous les jours et aujourd’hui, je suis armé contre.

Étonnamment, je n’aime pas parler de ces questions : elles ne sont pas un moteur pour moi et surtout, je ne suis pas une victime. J’ai tellement l’habitude du racisme, dont je fais encore l’expérience tous les jours, qu’il ne m’empêche plus d’avancer. Cela fait presque partie de ma normalité. Mais c’est pour les enfants que cela me désole. Si ma fille est victime de racisme, alors là oui : je m’arrête et je règle le problème. Dans ce cas-là, je m’inscris dans une forme de radicalisme. Et je peux moi aussi devenir indomptable.

Source : Jeune Afrique

Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A Propos

Site d’information de l’actualité Africaine

Email : african.neutralitytv@gmail.com

Contact: +33 7 84 88 94 67

WEB VISION @ 2024. All Rights Reserved.